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Budget 2022

Honorables sénateurs, avant de commencer mon discours sur l’interpellation au Sénat sur le budget fédéral, je tiens d’abord à souligner ce qu’est l’interpellation et ce qu’elle n’est pas. Il ne s’agit pas d’un vote sur l’approbation du budget dévoilé par la ministre des Finances ni d’une mesure visant à modifier le budget ou à proposer une motion pour le dénoncer ou l’améliorer. Sénateur Gold, je vous assure que mon point de vue sur le projet de loi d’exécution du budget et l’approche adoptée par le Sénat à son égard n’a pas changé. Cependant, c’est une occasion pour le Sénat de faire ce qu’il fait le mieux, c’est-à-dire discuter, évaluer et proposer des solutions de rechange pour améliorer les résultats pour les Canadiens. C’est dans cet esprit que je formule mes observations.

Il était encourageant, le mois dernier, de voir les mots productivité, innovation et cible budgétaire un peu partout dans les pages du budget de 2022 de la ministre des Finances. Il était également encourageant d’entendre la ministre utiliser les mots suivants pour décrire le budget, et je cite :

Le moment est venu de s’employer à faire croître notre économie et à rendre le coût de la vie plus abordable pour les Canadiens en effectuant des investissements intelligents et se fixant des objectifs clairs [...]

 — et —

[...] à s’attaquer au talon d’Achille de l’économie canadienne : la productivité et l’innovation.

Il s’agit d’objectifs importants, d’autant plus que les Canadiens sont de plus en plus inquiets, alors que nous nous attendions à avoir un peu de répit par rapport aux craintes suscitées par la pandémie de COVID. La guerre en Ukraine a exacerbé nos inquiétudes concernant l’inflation, les taux d’intérêt et la sécurité financière personnelle. Ce budget est encore plus lourd de conséquences que nous ne l’aurions imaginé il y a quelques mois à peine.

Je félicite le gouvernement pour ce qui semble, au départ, être une orientation politique évolutive en faveur de la croissance. Il est cependant tout aussi important d’évaluer si les mesures spécifiques annoncées dans le budget sont adéquates pour atteindre cet objectif politique.

À cet égard, je crois qu’il reste des progrès à faire par rapport au budget, compte tenu de ce que je crois être une importance démesurée accordée aux programmes de distribution et une importance insuffisante accordée à l’accroissement de notre prospérité collective. Le budget présente, selon les mots du ministre, trois piliers conçus pour faire croître l’économie et rendre la vie plus abordable. Le premier pilier met l’accent sur les investissements dans les Canadiens grâce à un soutien au logement, au perfectionnement des compétences, à l’immigration et aux services de garde d’enfants; le deuxième pilier soutient la transition vers une économie plus verte par l’entremise de dépenses pour le stockage du carbone, d’incitatifs à l’achat d’un véhicule électrique et d’investissements dans l’extraction de minéraux critiques; et le troisième pilier met l’accent sur la croissance économique, soutenue par une nouvelle agence d’innovation et d’investissement et un fonds de croissance. Chacun de ces piliers est un élément essentiel de la croissance de l’économie.

En accueillant un plus grand nombre d’immigrants et en mettant l’accent sur la formation, nous pouvons contribuer à combler les écarts en matière d’emploi, et en exploitant les minéraux qui sont essentiels au développement d’une économie plus verte avec des chaînes d’approvisionnement fiables, nous pourrons mettre le Canada sur la voie du leadership.

Soit dit en passant, ces deux piliers constituent également une part importante d’un rapport économique publié l’automne dernier par le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, dont je suis membre. J’en reparlerai plus tard.

Je crois que le troisième pilier, la productivité économique, exige une attention plus soutenue. Comme la ministre l’a indiqué dans son discours, la sous-performance du Canada à cet égard constitue un problème insidieux. Je suis tout à fait d’accord. Voilà pourquoi je pense que nous devons nous montrer plus créatifs, plus concentrés et plus ambitieux.

Par exemple, prenons les deux initiatives pivots destinées à s’attaquer à cet enjeu : un nouveau fonds de croissance de 15 milliards de dollars et la création d’une agence d’innovation et d’investissement qui fournira des conseils. Il me semble que ces deux mécanismes existent déjà sous une forme ou sous une autre. Par exemple, comment se démarqueront-ils de la Banque de l’infrastructure du Canada, de l’Initiative de catalyse du capital de risque, du Programme d’aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada, ou d’une myriade d’autres initiatives qui existent déjà? Les investissements publics comme ceux que l’on retrouve dans le fonds de croissance n’amélioreront pas vraiment la productivité si nous n’encourageons pas mieux l’innovation.

En passant, le fonds de croissance ne comprend même pas d’argent frais compte tenu du fait qu’il proviendra du cadre financier existant. En fait, les 6 milliards de dollars pour la croissance proviendront du réaménagement des dépenses dans les infrastructures, vraisemblablement de la Banque de l’infrastructure du Canada qui, je dois le dire, a été lente à entrer en action.

J’aurais préféré que le budget se concentre davantage sur l’aspect innovation de l’équation. L’idée que le seul frein à la capacité d’innovation de notre pays est notre incapacité à commercialiser ces innovations est fausse. La capacité du Canada en matière de recherche industrielle est inadéquate. Nous consacrons beaucoup trop de temps à l’innovation progressive et pas suffisamment à poursuivre des inventions radicalement révolutionnaires. Comme Robert Asselin, du Conseil canadien des affaires, l’a écrit dans un récent article du Financial Post, où en serait la santé des citoyens canadiens et du reste de la planète aujourd’hui sans la percée en matière de vaccins à ARN messager? Comment atteindrait-on nos objectifs climatiques sans des initiatives révolutionnaires en matière de réduction des émissions de carbone? Jusqu’à présent, notre performance en matière d’innovation et d’économie numérique est, au mieux, inégale.

Selon le rapport sur la compétitivité à l’échelle internationale publié par le Forum économique mondial en 2019, intitulé The Global Competitiveness Report 2019, le Canada se situe au seizième rang pour la capacité d’innovation, au dix-huitième rang pour les demandes de brevet, et au vingt-troisième rang pour les dépenses en recherche et développement. Parallèlement, selon les données de l’OCDE et du Forum économique mondial, nous occupons le dix-neuvième rang pour la collaboration entre les universités et les secteurs industriels. Quant à la croissance globale, le taux de croissance annuel moyen du PIB canadien a chuté de moitié depuis le début de ce siècle, comparativement à ce qu’il était de 1960 à 2000.

Comme l’a souligné le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité dans son rapport publié à l’automne dernier, le Canada a de sérieux défis à relever, y compris celui de rattraper le retard accumulé comparativement aux autres nations au chapitre de la commercialisation des innovations. Notre pays a échoué à développer un bassin adéquat de candidats talentueux dans le secteur des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques. En outre, nous sommes lents à adopter de nouvelles technologies et nous avons d’importantes lacunes dans l’accessibilité d’Internet haute vitesse dans les régions éloignées.

La liste des solutions est trop longue pour vous la présenter dans un si bref discours. Cependant, nous pourrions commencer pas accroître les dépenses dans la recherche et le développement, surtout pour les projets de recherche à risque élevé et axés sur des missions. Je pense, entre autres, à la Defence Advanced Research Projects Agency, aux États-Unis. Nous pourrions faire d’autres investissements stratégiques pour soutenir l’entrepreneuriat et renforcer les capacités des entreprises canadiennes qui mènent leurs activités au pays. Nous devons aussi examiner les possibilités de coinvestissements avec le capital de risque et de commercialisation, par exemple dans les biotechnologies. Il faudrait aussi réduire les obstacles sur le plan de la réglementation.

Avant de passer à d’autres solutions potentielles, je m’en voudrais de ne pas parler des cibles budgétaires sur lesquelles le budget s’appuie. Comme la ministre l’a mentionné, il est impératif de s’occuper du déficit accumulé pendant la pandémie. La cible présentée dans le budget est tout simplement de faire en sorte que le ratio de la dette par rapport au PIB continue de diminuer. Le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité est d’avis que nous devrions aller plus loin si nous voulons maintenir l’avantage fiscal du Canada, dont le ratio de la dette par rapport au PIB était le plus faible parmi les pays du G7 avant la pandémie. Au lieu de la cible proposée dans le budget, le gouvernement devrait limiter les frais de service de la dette à 10 % des recettes gouvernementales et plafonner les dépenses des programmes fédéraux à un pourcentage du PIB. Le gouvernement établirait ainsi les bases d’un plan de gestion budgétaire qui permettrait au pays de continuer à faire des investissements appropriés dans les programmes économiques et sociaux les plus importants tout en réduisant les dépenses dans les programmes qui se sont révélés inefficaces.

Dans sa forme actuelle, le budget prévoit de nouvelles dépenses nettes de 56 milliards de dollars, qui sont en partie compensées par des économies prévues de 26 milliards de dollars. Ces économies découlent d’une taxe pour stimuler la croissance de 6 milliards de dollars imposée aux banques et aux assureurs, de prélèvements d’impôts d’une valeur de 10 milliards de dollars et d’autres gains d’efficacité du gouvernement. On ne parle pas d’une énorme incidence fiscale, mais le budget prévoit tout de même des dépenses accrues dans des dossiers comme les soins dentaires, les engagements en matière de défense, les subventions pour les véhicules électriques, le logement, la réconciliation et d’autres encore.

Je crains aussi que les hypothèses qui sous-tendent le cadre budgétaire soient fondées sur des hypothèses économiques exagérément optimistes étant donné l’incertitude à laquelle sont confrontés le Canada et le monde entier. À titre d’exemple, le taux d’inflation projeté est de 3,7 %, une projection qui se trouve dans la zone la plus modeste, et je dirais même la plus optimiste, du champ des possibilités. Bien que ces projections soient plausibles, il suffirait de légers écarts pour faire dérailler complètement le plan.

Je profiterai des quelques minutes qu’il me reste pour proposer une dernière façon de promouvoir la croissance, fondée sur l’idée que nous avons besoin d’un fédéralisme fiscal coopératif renouvelé. Au-delà de certaines des mesures qui se trouvent dans le budget et d’autres que j’ai décrites plus tôt, je crois que le gouvernement aurait pu tirer des leçons de la façon dont les ordres de gouvernement ont coopéré pour lutter contre la pandémie. L’approche fédérale-provinciale-territoriale employée alors a porté des fruits. Elle devrait servir de modèle et ouvrir une nouvelle voie vers une prospérité viable, inclusive et partagée — vers la création d’une grande entente entre le gouvernement, les entreprises, les peuples autochtones, les communautés racisées, les syndicats canadiens, les citoyens qu’il est difficile d’atteindre et tous les autres membres de la société civile.

À cette fin, le Groupe d’action pour la prospérité a recommandé l’automne dernier que soit établie une nouvelle entité que nous avons nommée « conseil de la prospérité », pour stimuler les choses et favoriser le dialogue sur la recherche de solutions aux défis économiques. Il est grand temps, bien sûr, que nous nous attaquions aux barrières commerciales interprovinciales, aux critères variables pour la formation des apprentis et aux obstacles à la circulation des travailleurs, sans parler de la façon dont nous traitons d’autres défis intergouvernementaux comme la taxe sur le carbone, la création de nouveaux programmes de garderie et autres. Un organisme tel que celui que nous proposons permettrait également d’exiger des comptes de la part des gouvernements sur la façon dont nous nous situons par rapport aux principaux indicateurs de performance qui mesurent le progrès économique. Comment le Canada se situe-t-il par rapport aux autres nations en ce qui concerne la facilité de faire des affaires, les dépenses publiques en matière de formation ou encore l’attraction de talents étrangers? Ce sont des éléments mesurables qui existent et qui peuvent être inclus dans un plan gouvernemental comme celui que recommande le Groupe d’action pour la prospérité.

Selon moi, le budget présenté le mois dernier n’en propose pas suffisamment. Un nouveau conseil de la prospérité présenterait des cibles détaillées et publiques.

Un tel renouvellement pourrait également contribuer à atténuer les différences fédérales-provinciales-territoriales qui apparaissent souvent lorsqu’Ottawa élabore des programmes partagés qui, trop souvent, entraînent une diminution de la part des contributions fédérales à ces mêmes programmes.

Même si je ne m’oppose pas en soi aux nouveaux programmes de soins dentaires, d’assurance-médicaments, de soins de longue durée ou de logement, je crains qu’ils ne reconnaissent pas comme il se doit les compétences des provinces sur les plans de la conception et de la viabilité. Nous devons bien sûr parfaire notre union sociale, mais nous devons aussi mettre l’accent sur le renforcement de notre union économique, d’où la nécessité d’une grande entente. Outre la question de savoir si notre suggestion de créer un conseil national de la prospérité est tout à fait avisée, il est impératif de tenir une vaste série de discussions nationales sur l’économie. D’après mes calculs, les premiers ministres des provinces et des territoires ont rencontré le premier ministre fédéral environ 39 fois depuis le début de la pandémie de COVID-19. Nous pouvons sûrement organiser quatre ou cinq rencontres des premiers ministres sur l’économie.

En terminant, j’aimerais dire que nous vivons à une époque où la polarisation et la politique identitaire rendent les Canadiens plus méfiants envers leurs institutions. Pour que les gouvernements parviennent à un consensus, ou à un quasi-consensus, sur la direction que devrait prendre notre économie, nous devons dialoguer et nous mettre à la place les uns des autres. Alors, même si je crois que le budget n’a pas été complètement à la hauteur des discours du gouvernement, l’élaboration d’un plan visant à assurer la prospérité du Canada est une initiative qui va bien au-delà de la présentation d’un plan économique annuel. J’exhorte le gouvernement à tendre la main à tous les Canadiens pour établir un climat de confiance et bâtir une culture de l’innovation qui nous permettront de relever les défis économiques futurs et de redevenir des chefs de file mondiaux.

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