Projet de loi de Jane Goodall

Honorables sénateurs, dans un passé pas si lointain, on pouvait emprunter la route 7 vers l’ouest, puis, juste après Perth, s’arrêter à un petit relais routier pour donner du Coca-Cola et de la crème glacée à deux ours noirs dans une cage. Ce n’était qu’un des nombreux enclos pendant les années 1970 qui visaient à inciter les automobilistes à s’arrêter pour manger, que ce soit en chemin vers des vacances à Ottawa ou au retour à la maison. Des clichés de jeunes enfants tout sourire devant les cages ou en train de nourrir les ours parsèment les blogues sur l’histoire et les musées des villages où de tels enclos se trouvaient.

Les valeurs et les normes sociales évoluent. Dans beaucoup de cas, les visiteurs n’étaient pas conscients de la négligence et de la privation que ces pauvres animaux subissaient.

Cela dit, aujourd’hui, nous le savons. C’est pourquoi nous sommes saisis de cette importante mesure législative, le projet de loi S-241. C’est un projet de loi d’une très large portée qui, en plus d’autres mesures de protection, limite le recours à la captivité et prévoit des protections additionnelles pour de nombreuses espèces. Il doit être soutenu par le Sénat.

Heureusement, la vaste majorité de ces attractions aux abords de la route dont je viens de parler n’existent plus, mais plusieurs autres types de confinement des animaux perdurent, y compris les zoos privés qui gardent des grands félins, des loups et des reptiles dangereux comme des crocodiles et des pythons.

Ils ont aussi des ours. Les ours occupent une place particulière dans mon cœur, comme le savent tous ceux qui ont vu certaines des œuvres d’art dans mon bureau. Ils occupent également une place spéciale dans l’identité de notre nation et dans la culture de nombreux peuples autochtones. L’ours polaire, par exemple, est respecté par les chasseurs inuits comme l’animal le plus intelligent de l’Arctique canadien et comme un symbole de la résilience, de la patience et de la détermination nécessaires pour survivre dans ce climat rigoureux. C’est ce qu’indique l’étude intitulée Inuvialuit and Nanuq : A Polar Bear Traditional Knowledge Study, rédigée en 2015.

L’ours esprit de la côte Ouest, l’ours Kermode, est devenu un important sujet de débat dans cette enceinte il y a tout juste trois ans, lors du débat sur le projet de loi C-48, qui visait à interdire la circulation des pétroliers le long de la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique. On estime qu’il ne reste qu’entre 400 et 1 200 de ces ours de couleur claire, qui vivent tous dans cette région de notre pays. Ils revêtent une grande importance pour les nations autochtones qui y vivent. Tout comme les ours polaires, les ours esprits sont particulièrement adaptés à leur habitat. Leur fourrure blanche les rend particulièrement adaptés à la chasse au saumon, car elle leur permet de se confondre avec la couleur du ciel.

Et puis, bien entendu, il y a les grizzlis, qui protègent leurs petits d’une façon qui se distingue des autres espèces par son ardeur. Le nom latin du grizzli est Ursus arctos horribilis, ce qui signifie « ours terrifiant » — un surnom indiqué pour un animal qui a plus tendance à attaquer qu’à fuir lorsqu’il se sent menacé.

Parmi les nombreuses espèces visées par le projet de loi, les ours ont besoin d’habitats particulièrement vastes pour s’épanouir. Les ours polaires en captivité, de même que les orques et d’autres cétacés, souffrent de plus de maladies, y compris de maladies psychologiques, que les autres animaux gardés en captivité, d’après de la documentation préparée par l’organisme britannique Bear Conservation. Les ours sont des animaux extrêmement intelligents qui peuvent souffrir mentalement et physiquement lorsqu’ils sont en captivité.

Le projet de loi règle un problème réel et urgent, celui de leur bien-être.

Au cours des dernières années en Ontario, les médias ont rapporté que des ours avaient attaqué des oursons nés en captivité. Un zoo ontarien a récemment gardé un ours noir dans un enclos de 25 pieds sur 25 pieds pendant plus de 25 ans. Une représentante de Zoocheck a affirmé que c’était probablement le pire enclos d’ours en Amérique du Nord. Avant sa mort, qui est survenue avant le début de la pandémie, cet ours affichait des comportements stéréotypés anormaux, comme marcher de long en large et rester anormalement immobile.

Au cours des dernières années, les ours ont aussi été utilisés à la télévision et dans les films au Canada. Le projet de loi exigerait une licence provinciale pour une telle pratique.

En tout, il y a plus de 25 zoos au Canada qui continuent de garder des ours en captivité. Le projet de loi S-241 vise à les protéger et à protéger d’autres ours, en limitant les nouvelles captivités à des situations où des licences seront exigées pour protéger le bien-être de ces animaux.

Le projet de loi interdit également que les ours soient utilisés à des fins de divertissement et il leur confère un statut juridique limité, afin de les rendre admissibles à des ordonnances dans leur intérêt, par exemple pour les réintégrer dans leur habitat et payer les dépens, si toutefois ils étaient utilisés à des fins de divertissement ou soumis à une reproduction illégale en captivité.

Comme pour la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins de 2019, les infractions sommaires sont passibles d’une amende maximale de 200 000 $.

Le projet de loi vise plus précisément à protéger ces espèces en interdisant l’acquisition de nouveaux ours, que ce soit par l’entremise d’une capture ou d’une reproduction, ou d’un transfert, y compris les importations et les exportations, sauf si l’on dispose d’une licence pour un de ces cas de figure.

Premièrement, tout comme pour la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins, une organisation pourrait demander une licence l’autorisant à garder ses ours en captivité si c’est dans leur intérêt, notamment pour la conservation et le bien-être des individus.

Par exemple, des personnes qualifiées pourraient s’occuper d’oursons orphelins ou d’ours causant des problèmes, qui ont été en contact avec des humains et qui présentent un risque pour la sécurité du grand public. Des licences pourraient également être accordées pour offrir un meilleur habitat aux ours en captivité qui vivent dans des conditions inadéquates.

Les sanctuaires d’ours pourront toujours exister sans problème avec ce projet de loi. Il sera possible de sauver des ours et de faire des activités de sensibilisation du public, tout comme certaines structures existantes pourront garder les ours pour qu’ils grandissent. Le projet de loi précise aussi qu’il n’est pas interdit d’aider un animal en détresse, en vue de faciliter son sauvetage.

Deuxièmement, un organisme pourrait obtenir une licence l’autorisant à faire l’acquisition d’ours dans le but de faire de la recherche scientifique non dommageable. Cela justifierait de nouvelles formes de captivité nous permettant d’obtenir des renseignements scientifiques essentiels sur les ours. Ainsi, la loi n’interdirait pas la collecte de données hypothétiques en situation de captivité qui pourraient aider les ours polaires sauvages à survivre, notamment, à la disparition de la glace de mer. Toute décision de délivrance d’une licence prise par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique ou, dans certains contextes, par la province doit prendre en considération le bien-être individuel de l’animal ainsi que l’importance potentielle de la recherche et sa crédibilité.

Troisièmement, un organisme pourrait faire l’acquisition d’ours s’il est désigné « organisme animalier » au sens de la Loi de Jane Goodall. Un tel organisme doit avoir un mandat lié au bien-être des animaux, à la conservation, à la recherche scientifique et à la sensibilisation du public. Cette désignation autoriserait les organismes crédibles, tels que les principaux zoos, aquariums et sanctuaires du Canada, à mener leurs activités sans se voir imposer un fardeau administratif indu. Le projet de loi propose de désigner initialement sept zoos et aquariums.

Ces organismes doivent continuer de respecter cinq critères transparents et accessibles en matière de protection des animaux, notamment appliquer les normes de soins les plus élevées, protéger les dénonciateurs, faire l’acquisition responsable d’animaux et s’abstenir de donner tout spectacle où l’on fait faire des tours aux animaux comme dans un cirque ou d’utiliser des animaux dans le cadre d’une production télévisuelle ou cinématographique.

Fait très important, ces organismes doivent également satisfaire à toutes les conditions établies par le ministre en fonction des meilleures données scientifiques disponibles et des conseils des experts consultés. De telles conditions pourraient s’appliquer à une espèce ou à un établissement en particulier et limiter la reproduction.

Honorables sénateurs, nous avons besoin de la Loi de Jane Goodall pour protéger les ours autant que les autres animaux inscrits sur la liste, comme les grands félins, dont le traitement a alimenté la controverse dans les dernières années. On estime à près de 40 le nombre de zoos au pays qui gardent de grands félins en captivité et le nombre de bêtes gardées par des particuliers serait de 3 600 à 7 000, ce qui est ahurissant.

Le projet de loi S-241 a une grande portée et est novateur à bien d’autres égards. Ce serait lui nuire que d’essayer de parler de toutes ses facettes dans le peu de temps qui m’est imparti. Il peut par contre être utile d’aborder une partie importante du projet de loi qui confère un statut juridique limité aux animaux dans les poursuites criminelles pour des infractions commises sur des animaux en captivité, notamment la reproduction illégale et l’utilisation des animaux dans des spectacles.

Si le statut est limité parce qu’il ne s’applique que dans le cas de certaines poursuites — les poursuites pénales plutôt que les poursuites civiles, qui relèvent des provinces —, ce serait quand même un précédent majeur, car pratiquement aucun pays n’accorde de statut aux animaux.

L’effet concret de ce projet de loi pourrait être, par exemple, de forcer les zoos privés à relocaliser, à leurs frais, les grands félins qu’ils gardent advenant qu’un de ces félins soit le fruit d’une reproduction illégale. En outre, si un exploitant organisait illégalement un spectacle de baleines, cela pourrait s’appliquer aussi à la relocalisation des baleines.

La nouvelle version de la Loi de Jane Goodall encourage le gouvernement de l’Ontario à conférer un statut juridique à Kiska, cette orque seule dans son bassin à Marineland, se portant ainsi à la défense de ses droits pour la faire reconnaître comme un individu.

J’ai toujours été un ardent défenseur du Sénat, dont le rôle consiste surtout à assurer un second examen objectif, à suggérer des amendements et à représenter les points de vue des régions et des minorités. Cependant, je crois que, parfois, il peut agir comme chef de file et que ce projet de loi est l’une des occasions de le faire, notamment parce qu’il est aussi enchâssé dans la lettre de mandat du ministre.

Qui plus est, Jane Goodall, l’ancien sénateur Sinclair et maintenant mon collègue le sénateur Klyne ont mis en évidence la nécessité d’agir de manière urgente pour sauver nos espèces sauvages et comment cette démarche cadre avec le processus de réconciliation. Le projet de loi est largement appuyé par des organisations et des personnes de partout au pays, notamment Premières Nations côtières de la Colombie-Britannique, là ou l’on retrouve l’habitat de l’ours esprit. Cela s’inscrit dans la longue tradition de ces nations qui ont toujours protégé les grands ours de la forêt pluviale, les baleines de l’océan et toutes les autres créatures que l’on retrouve dans cette biorégion tempérée. Elles sont aussi des leaders dans leur travail, en collaboration avec le Canada et la Colombie-Britannique, pour accroître la superficie du plus grand réseau de protection marine le long de la côte du Pacifique au Canada.

Je conclurai en soulignant que ce projet de loi comporte un élément spirituel de respect à l’égard de l’âme sœur que sont toutes les formes de vie. Comme l’a dit le mahatma Gandhi : « La grandeur et le progrès moral d’une nation se mesurent à la façon dont elle traite ses animaux. » Je crois que ces paroles sont empreintes de vérité. Protéger et respecter les animaux élève l’humanité. Les négliger nous avilit.

En parlant de son propre amour pour les animaux, le grand humoriste Will Rogers a résumé ce sentiment bien mieux que je ne pourrais le faire, en déclarant ce qui suit : « S’il n’y a pas de chiens au paradis, alors quand je mourrai, je veux aller où ils sont allés. » Merci.

< Retour à : EN CHAMBRE