Projet de loi sur des mesures en réponse à la COVID-19

Honorables sénateurs, ceci est le septième projet de loi prévoyant des mesures d’urgence en réponse à la COVID-19 dont nous discutons depuis mars. C’est également la septième occasion que j’ai de formuler quelques observations. Nous avons reçu, quoique dans des circonstances plutôt exceptionnelles, ces projets de loi de la Chambre des communes, ce qui, dans le contexte d’un gouvernement minoritaire, signifie, par définition, que plus d’un groupe à l’autre endroit les a appuyés. Toutefois, et ceci est plutôt inhabituel, nous étudions aujourd’hui un projet de loi adopté à l’unanimité par la Chambre des communes. Il est malheureux que cette unanimité de la Chambre élue ne sera pas célébrée au Sénat. J’exhorte mes collègues à envisager d’appuyer ces mesures d’urgence supplémentaires en réponse à la crise que vivent les Canadiens au quotidien.

J’aimerais prendre un instant pour exprimer une réflexion sur le rôle que devrait jouer le Sénat à l’égard des projets de loi urgents provenant de la Chambre des communes en période difficile, alors qu’il n’est pas facile d’amender ou, comme nous le disons, d’améliorer les diverses mesures proposées. À mon avis, nous devons à tout le moins commencer à songer au contexte post-COVID en matière de politique publique.

Pour commencer, j’aimerais remercier le sénateur Dean de parrainer le projet de loi, de même que tous les collègues qui ont pris la parole à son sujet ainsi que les ministres qui sont venues aujourd’hui et qui, j’ai trouvé, nous ont fourni très efficacement le contexte et les renseignements supplémentaires voulus pour que nous puissions faire aisément notre travail.

Je veux souligner trois points, parce que, essentiellement, je crois que les mesures liées à la COVID, autant celles à l’étude aujourd’hui que les six projets de loi présentés auparavant, étaient nécessaires. Cependant, il faut commencer à voir comment le fardeau de cet endettement sera étalé dans le temps et comment il pourra être réparti de façon équitable entre les différents secteurs et groupes au Canada au fil des ans.

Même avant la COVID, il y avait des problèmes dans différents secteurs de l’économie canadienne et, si vous regardez où se situait la croissance, les exportations du secteur de l’énergie étaient plutôt faibles comparativement aux années antérieures, alors que, je le fais remarquer, c’était ce secteur qui nous a donné une marge de manœuvre dans notre compte courant, créant un surplus annoncé avec grand bruit. Il faut trouver d’où viendra la croissance.

D’où viendra-t-elle? Je vous recommande de lire l’étude produite par David Dodge et diffusée par le Forum des politiques publiques intitulée Deux pics à franchir : Les deux déficits du Canada et comment les proportionner.

Dans l’étude, l’ancien gouverneur ou député Dodge, peu importe le titre que vous voulez lui donner, a dit que nous devons nous fixer cinq priorités essentielles afin de relever le taux de croissance annuel du PIB potentiel à bien au-delà de la trajectoire actuelle de 1,8 % que nous avions déterminée avant la période de la COVID-19. Il dit qu’il faudra un effort conjugué des gouvernements, des entreprises et des ménages.

Voici les cinq priorités qu’il a ciblées :

Premièrement, accroître la part du numérique dans la production des biens et particulièrement des services;

Deuxièmement, prolonger la durée utile d’un secteur des ressources moins polluant et faciliter une composition à plus forte valeur ajoutée;

Troisièmement, maximiser la participation et l’adaptation de la population active;

Quatrièmement, améliorer l’efficacité et l’efficience des services publics;

Cinquièmement, rétablir la confiance dans la stabilité budgétaire.

Je ne prendrai pas le temps ce soir de vous donner mon opinion sur ces cinq éléments importants, mais je tiens au moins à proposer qu’ils orientent les travaux des comités sénatoriaux quand nous reviendrons et que le Sénat pourra étudier normalement des dossiers.

Tentons de modeler ce à quoi l’autre endroit commence à penser quand le temps et les circonstances le lui permettront. Ainsi, nous aurons vraiment ajouté de la valeur au débat, au lieu de seulement examiner rapidement les projets de loi qui nous sont renvoyés, et forcément rapidement. Je ne m’en plains pas. Néanmoins, nous ajouterions sûrement de la valeur en commençant à poser ce genre de questions et à explorer l’éventail des réponses avant l’autre endroit ou que le gouvernement se fasse une idée sur ces questions.

Par exemple, la sénatrice Deacon a parlé de la numérisation des secteurs des finances et des services. Nous devrions peut-être parler de façon plus générale de ce que représente l’économie à la demande pour le Canada et de comment nous pourrions accélérer notre participation à cette dernière par rapport à d’autres pays.

Étant donné l’intensité du débat que nous avons tenu lors de la dernière législature au sujet du secteur de l’énergie, plus particulièrement au sujet des réformes visant l’évaluation environnementale — que j’ai appuyées, comme vous le savez —, nous devrions certainement débattre avec la même intensité de la façon dont nous pouvons ramener le Canada dans une situation avantageuse en ce qui a trait à la valeur de ses exportations énergétiques. Comment pouvons-nous tirer profit du secteur des ressources, en particulier le secteur du bois d’œuvre, qui a connu une période exceptionnelle ces derniers mois, tout comme le secteur agricole? Comment pouvons-nous concilier les besoins de ces marchés avec tous les autres facteurs que nous avons grandement avantage à considérer, notamment en ce qui concerne notre politique étrangère et nos échanges commerciaux? Si le secteur canadien des ressources ne peut pas vendre ses ressources à ceux qui les veulent dans le monde entier, le Canada se privera d’une partie de la croissance dont elle a besoin.

L’adaptation de la main-d’œuvre grâce à l’apprentissage continu fait certainement partie des aspects que la sénatrice Bellemare et d’autres sénateurs que je connais ont grandement considérés. Comment pouvons-nous améliorer le développement des compétences de la main-d’œuvre canadienne? Nous pouvons peut-être faire quelque chose à cet égard.

Pour ce qui est de l’efficacité des services publics, je pense que cette assemblée peut apporter une contribution importante.

C’est le premier point que je voulais soulever. Comment le Canada arrivera-t-il à croître? Comment le Sénat va-t-il contribuer à la conversation avec les Canadiens? Quels points soulèvera-t-il auprès des dirigeants politiques et de l’ensemble des dirigeants fédéraux et provinciaux pour étudier la question?

Le deuxième point que je veux faire valoir est en fait le cinquième point de David Dodge, au sujet du déficit. Quelle cible budgétaire devrions-nous fixer? Je pense qu’il est injuste de simplement demander au gouvernement quelle est la cible budgétaire. Il serait plus judicieux de s’interroger sur les éléments à considérer en vue de la nouvelle cible. C’est beaucoup trop facile de se contenter de souhaiter un budget équilibré. En fait, ça ne l’est pas. Ce serait très imprudent et cela nous replongerait dans une récession que personne ne souhaite. Le rapport entre la dette et le BIP ne diminuera certainement pas. Cette époque est révolue.

Je vais commencer par citer quelques extraits tirés du rapport du directeur parlementaire du budget publié cette semaine, qui est une lecture fort intéressante. Le directeur parlementaire du budget dit que nous avons maintenant une meilleure idée de ce que coûtera la lutte du Canada contre la COVID-19, mais comme il le dit, le rapport n’est qu’une vague idée de l’avenir. Le document ne contient aucune prévision des dépenses futures et aucune cible budgétaire pour les dépenses du gouvernement. Ce n’est pas le travail du directeur parlementaire du budget. Selon moi, c’est le travail d’un législateur.

Selon le rapport du directeur parlementaire du budget, le déficit devrait atteindre 328,5 milliards de dollars cette année, un chiffre légèrement inférieur à celui du récent portrait économique de l’ancien ministre des Finances, M. Morneau. Cet écart s’explique par le fait que le directeur parlementaire du budget est plus optimiste par rapport à la taille des recettes du Canada. Nous l’avons constaté dans les deux derniers rapports mensuels sur les exportations et les recettes.

Le déficit prévu par le directeur parlementaire du budget représente 15 % du PIB, le plus haut pourcentage enregistré depuis que ces calculs sont faits, soit 50 ans. Le déficit budgétaire devrait être ramené à 73,8 milliards de dollars à l’exercice prochain et continuer de diminuer par la suite. Les déficits devraient être d’environ 40 milliards de dollars ou légèrement supérieurs, peut-être.

Ces chiffres se fondent sur trois hypothèses, qu’il est utile de rappeler : primo, les mesures en matière de santé publique seront maintenues au cours des 12 à 18 prochains mois; secundo, les mesures de soutien liées à la COVID seront retirées dans les délais prévus — c’est très incertain et tout dépend de la première hypothèse, n’est-ce pas? —; tertio, la politique monétaire restera semblable, ou, autrement dit, les taux d’intérêt demeureront bas.

Le directeur parlementaire du budget prévoit que le PIB réel atteindra son niveau d’avant la crise d’ici le début de 2021. Cependant, on note que les bouleversements des prix du pétrole et la COVID-19 laisseront des séquelles permanentes sur l’économie canadienne, ce qui me ramène à mes observations sur le déficit courant provenant de notre secteur de l’énergie.

Le ratio fédéral dette-PIB atteindra un sommet de 48,3 % en 2022-2023, alors qu’il était de 18,3 % en 2019, soit une hausse de 30 points de pourcentage. Le ratio prévu augmentera avant de redescendre à moyen terme. Cela est attribuable à l’expiration, espérons-le, des mesures adoptées dans les sept derniers projets de loi qui nous ont été soumis.

Je souligne que le rapport présenté la semaine dernière par le directeur parlementaire du budget ne tient pas compte des mesures figurant dans le discours du Trône. Cette question a été abordée avec la ministre aujourd’hui.

Je dis cela parce que nous devons déterminer ce que nous recommanderions comme cible budgétaire ou quelles sont les options possibles qui constitueraient une bonne politique publique à ce chapitre. Je pense qu’il pourrait être utile, ici aussi, de tenir compte de l’avis de David Dodge.

Il recommanderait au gouvernement de réduire progressivement son déficit budgétaire et ses besoins d’emprunt par étapes sur les deux à trois prochaines années en ayant pour objectif de ramener les déficits à 1 % du PIB ou 20 milliards de dollars; de cesser d’utiliser le radio dette-PIB comme seule cible budgétaire et d’adopter une cible fondée sur les frais de service de la dette; et d’arrimer ses emprunts et ses plans de recettes futurs à une cible viable en matière de frais de service de la dette ne dépassant pas 10 % des recettes annuelles de l’État.

Je pense que cette idée de l’ancien gouverneur Dodge est plutôt novatrice. À mon avis, elle mérite que le Sénat envisage qu’on en discute avec des experts qui pourraient offrir des recommandations sur le choix d’une cible budgétaire. Je ne considérerais pas comme une discussion sérieuse de s’en tenir à l’idée qu’il faut équilibrer le budget avant la fin de la prochaine législature.

Comment pouvons-nous mettre en place des programmes gouvernementaux viables et sains, qui comportent des cibles économiques et qui font la distinction entre les besoins et les désirs? Voilà mon deuxième point.

Mon troisième point, et non le moindre, c’est que le Canada est une fédération. Je suis très heureux que la ministre Freeland ait commencé son intervention, en réponse à la question du sénateur Plett, en parlant de la collaboration entre les ordres de gouvernement à l’égard des mesures d’aide pour les Canadiens.

Comme nous sommes une fédération, je pense que le Sénat, qui prétend être une Chambre représentative des régions, a l’obligation particulière de réfléchir à l’incidence, après la pandémie, qu’aura cette discussion concernant le rôle respectif des provinces et du gouvernement fédéral sur la création de politiques publiques efficaces au Canada.

Bon nombre des mesures qui ont été prises par le gouvernement relèvent en fait de la compétence provinciale. La plupart des critiques que le gouvernement a reçues au sujet de son inaction, notamment en ce qui concerne les temps d’attente pour le dépistage, concernent plutôt les provinces.

Bien honnêtement, je ne crois pas que nous, les parlementaires, avons aidé les Canadiens à bien comprendre le fonctionnement du fédéralisme au Canada. Ils ne savent pas qui est responsable de quoi.

Lorsque la pandémie se résorbera, je pense que nous devrions trouver une façon de favoriser une meilleure compréhension du fédéralisme.

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